Archives Mensuelles: septembre 2023

Payer pour travailler

Par défaut

Artiste en arts visuels, bilan au bout d’un an.

Je crois que c’est le seul boulot, artiste, où on paie pour faire l’animation des villages et villes. Le seul boulot où les gens qui veulent se faire plaisir en organisant un salon d’art ou en invitant un artiste à exposer sur les murs de leur restaurant ou en organisant un concert, pensent qu’ils font une fleur aux artistes alors qu’ils font en train de leur demander de faire leur déco et leur animation gratuitement voir en les faisant payer. Oui, je paie pour travailler. J’immobilise du stock (les œuvres), il s’use dans le transport/manutention/installation pour qu’un non professionnel de l’art qui n’a pas le carnet d’adresses d’amateurs, acheteurs ou programmateur, en profite pendant un week-end, un mois…

Alors ok, j’accepte de payer pour travailler si le service rendu par celui que je paie le vaut. J’accepte de laisser 50% de commission à un galeriste s’il fait son boulot de me trouver des clients. J’accepte de payer un stand sur un salon d’art si l’organisateur fait son boulot de communication auprès des publics cible, les amateurs et acheteurs d’art, et qu’ils les fait venir en nombre pour que j’aie une vraie chance de vendre. Par exemple Art3f me coûte 1500€ pour un week-end, mais il y a des milliers de visiteurs dont des collectionneurs, des galeristes et agents d’artistes.

Mais il me semble de mon expérience de cette année qui vient de passer que s’il y a les salons (marchés et festivals) organisés pour permettre aux artistes de vendre, organisés par des personnes du milieu de l’art et avec un réel potentiel de rencontre artiste/acheteur, il y a aussi les salons (marchés et festivals) organisés plus comme un événement culturel et en espérant qu’il y aura du public et que le public passera un bon moment. L’attention n’est pas portée du côté de la possibilité pour les artistes de trouver des acheteurs, mais du côté du public qui verra de belles choses. Et je crois qu’ils sont sincères en pensant bien faire pour les artistes aussi, vraiment. Et je ne remets pas en cause le temps et l’énergie dépensés pour cet événement. C’est juste qu’il est pour le public et pas pour les artistes. Et moi qui suis du côté artiste, je le sens. Les gens se promènent comme « au musée ». Il peut y avoir des coups de coeurs, mais la « chance » est faible. Il manque le public amateur et acheteur.  Cette prise de conscience m’interroge moi sur mes motivations quand j’organise un évènement… Au festival où je suis bénévole, nous avons commencé en 2021 à payer les artistes qui exposent, même si c’est peu, car ils nous font profiter de leur travail, ils nous rendent un service. C’est un budget supplémentaire, c’est sûr, pour un petit festival, mais c’est un début de nouvelle dynamique qui considère l’artiste et son travail.

Alors après cette prise de conscience par l’expérience, je peux faire des choix maintenant, je peux choisir d’accepter de payer pour que le public passe un bon moment en profitant de mon travail, ou je peux choisir de ne plus passer deux ou trois jours où je paie l’inscription, le trajet et même le café sur place pour « faire vivre le village », et pourtant, j’habite un village et je trouve qu’il est important de les faire vivre!! La création artistique est mon métier, c’est ça qui me rémunère. Ma présence sur des salons est du temps et de l’énergie, le fruit de mon travail, il faudrait que ça soit un minimum rémunérateur 2 ou 3 jours de travail. Et d’ailleurs, c’est pour ça qu’il existent des droits de monstration, c’est à dire des droits à payer pour exploiter ou jouir du travail d’un artiste, pour une exposition qui apportera de la plus value à l’espace, au village, à l’endroit où les œuvres sont accrochées. Les oeuvres sont le résultat de plusieurs heures de travail et elles sont à louer ou acheter, comme toute prestation de service ou produit.

Je sais que ce n’est pas facile à comprendre, j’espère tout de même que moi en tant qu’organisatrice et d’autres que moi tâcherons d’être vraiment conscient de nos motivations et nos choix par rapport aux artistes.